Toilette pour femmes
À l'été 1975, j'ai travaillé à l'usine de mon père, l'usine où il avait lui-même passé quarante ans de sa vie, dont la majorité à faire ses rapports en anglais. Bienvenue dans le fabuleux monde du textile : une industrie de misère, de petits salaires, de piètres conditions. L'exploitation de l'Homme, tous sexes confondus, par l'Homme.
Je travaillais dans ce qu'on appelait le "Bobbin store", le département du filage de la soie. J'étais entourée, voire encerclée, de racks de métal supportant chacun quelques dizaines de bobines. Mon travail était simple. Huit heures par jour, je ramenais des bobines, des centaines de bobines vers l'avant et je tirais le fil de chaque bobine jusqu'à ce qu'il soit aspiré par un immense tube.
L'horreur! Tous les racks étaient disposés de manière à se toucher et comme plusieurs bobines étaient aussi en métal, 3 à 4 fois sur dix, je prenais, on prenait un choc électrostatique lors de la manipulation des bobines. Vous savez, ce genre de petit choc agaçant quand il survient une fois, insupportable quand il se répète régulièrement, infernal quand on appréhende sa survenue à la seule vue d'une bobine. J'ai détesté. C'était très dur sur le système nerveux.
Pour se rendre à la cafétéria, on traversait un département imprégné d'une forte odeur d'acétone qui vous levait littéralement le coeur. Plusieurs, comme moi, préféraient passer par l'extérieur plutôt que de traverser ce département. Les anciennes disaient que c'était pire avant qu'il ne mette l'air climatisé quelques années auparavant. Je ne peux, je ne veux même pas l'imaginer.
Dans le Bobbin store, il n'y avait que des ouvrières. Un département dédié. Que des femmes. Dans la toilette des femmes, sur le mur en entrant, une photo d'homme nu que le responsable de l'entretien arrachait lors de son passage. Sitôt arrachée, une autre réapparaissait. Ça marquait le cycle de longues, d'interminables journées.
Faut-il attribuer le phénomène au fort et nécessaire courant de libération de la femme, de liberté sexuelle qui déferlait sur la société dans ces années-là. Ça se pourrait.
Mais ce qui est certain, c'est que les femmes sont capables des mêmes imbécillités que les hommes.
Marielll
Petite pensée pour mon père. Je l'admire pour être passé à travers ses 40 années sans devenir fou.
Les photos d'hommes nus, se pourrait-il qu'elles étaient des pieds de nez au boss ?
RépondreSupprimerPossible les tensions devaient être fortes entre le patronat et les employés syndiqués à l'époque. À la fin de l'année, la Celanese a mis ses 1 500 employés en lock out, un des plus longs, sinon le plus long qu'a connu Drummondville https://www.csn.qc.ca/wp-content/uploads/archives/Travail_19760615.pdf . Je me souviens que plusieurs restaurants étaient venus dans le rouge à l'époque en raison d'une baisse marquée des clientèles. Mais je ne pense pas moins que le mouvement de libération des femmes n'était pas étranger à l'affichage dans la toilette des femmes de photos d'homme nu.
SupprimerC'est drôle parce que lorsque que nous nous sommes installés Yves et moi à Gentilly, j'ai rencontré, que dans contexte d'un événement culturel, le curé de Gentilly. Il me disait avoir appuyé la cause des syndiqués de la Celanese. Il était là lors des affrontements.
Supprimer