Autres pays, autres "meurent"

Je marche. Je marche tous les matins. Tous les matins, année après année, mois après mois, jour après jour, chaque matin, je passe devant une jolie petite ferme.



Une petite ferme traditionnelle que je figurais à dimension humaine, contrairement à ces immenses fermes à aire ouverte que l'on voit émerger dans notre paysage agricole.

Vous savez de quoi je parle pour les avoir vues, sans peut-être les avoir remarquées. Ce sont d'immenses bâtiments informatisés du toit au plancher, d'une porte à l'autre. C'est l'avenir de nos vaches qui s'y trame : un avenir meilleur, dit-on. 

Dans ces bâtiments démesurés, j'en ai vu un en Mauricie qui faisait à vue de nez un demi-kilomètre de long, aucune vache n'est attachée. Elles sont libres de circuler dans cet immense espace résolument clos. Des fenêtres entourent tout le bâtiment, l'air y circule plus librement que les vaches.

Dans ces resorts, version pour ruminants, chaque vache "décide" de son heure de traite. Quand elle croit le moment venu, elle s'amène lourdement sur une espèce de plateforme multifonctionnelle. Sur cette plateforme, elle est sitôt identifiée et pesée. Si le moment de la traite se confirme, un dispositif tentaculaire robotisé surgit de nulle part et procède à la désinfection de ses trayons. Parallèlement, une portion de nourriture savamment dosée et adaptée à son régime alimentaire se déverse dans son auge et elle peut commencer à manger pendant que ses trayons sont tirés mécaniquement pour en extraire les quelque 30 litres de lait journaliers. Si l'heure de la traite n'est pas arrivée, une fois la pesée effectuée, une porte s'ouvre à l'extrémité de la plate-forme et la vache est invitée à retourner ruminer sans avoir mangé. Pour passer le temps, entre deux traites, elle peut s'offrir un massage mécanique pour soulager ses hanches qui ploient sous le poids de ses pies. Elle ne voit personne. Personne ne la flatte. Personne ne la touche si ce n'est, une fois par année, au moment de lui arracher son veau afin qu'elle puisse produire son quota quotidien de lait. Personne ne lui parle. Elle n'a pas de nom. Elle a des pies.

Heureusement, il y a les petites fermes à dimension plus humaine. Du moins, c'est ce que je pensais jusqu'à tout récemment.

J'en ai visité une au printemps. Les vaches laitières y sont attachées à demeure, ad vitam æternam jusqu'à ce que traites s'ensuivent. Une fois par année, elles sont engrossées par insémination artificielle pour activer leurs hormones de production laitière. Le veau sitôt sorti est enlevé à sa mère. Pas question qu'il boive les profits. La séparation est souvent déchirante et peut s'entendre à quelques lieux à la ronde.

On met le veau en pouponnière, le temps de l'engraisser et de décider de son sort. Si c'est un mâle, il pourra être vendu pour la reproduction? Ou à un éleveur bovin?  Ce dernier l'engraissera en 4e vitesse parce que les assiettes n'attendent pas. D'ailleurs, s'il vous arrive de voir des vaches dans le pré, au Québec, dites-vous  que c'est généralement, non exclusivement, du bœuf de boucherie.

Si c'est une femelle, l'éleveur peut choisir de la garder pour en remplacer une plus vieille, une dont la production a chuté. En attendant qu'elle soit prête pour la reproduction et la production, on ne l'envoie pas batifoler dans le champ. Non, on l'attache. On l'habitue à sa réalité de future vache laitière.


Pendant ce temps, en Suisse, on donne des amendes aux éleveurs pris en flagrant délit de ne pas sortir leur bétail  pour leur permettre de brouter,  de profiter de la chaleur, du soleil, des odeurs des saisons qui passent.

Autres pays, autres meurent, au Québec, après toute une vie figée dans l'ennui et la captivité. Qui s'en préoccupe, du moment que le lait coule à flot.  Pendant ce temps, cette même société fait la guerre aux usines à chiots.

Je ressens un profond malaise. Je pense que je commence à développer une intolérance au lait.


Marielll














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