La chasse aux morveux est ouverte

Jeudi dernier, ma journée de télétravail s'est conclue dans un fou rire total, fou rire que je dois à un journaliste à l'affût de la nouvelle. Et quelle nouvelle!

En fait, le journaliste était à la poursuite d'une femme qui s'était "raclé" bruyamment et profondément  le nez et la gorge pour en ressortir une glaire visqueuse qu'elle a répandue sur la rampe de l'escalier intérieur de son immeuble à logements, vidéo à l'appui.  La scène avait été filmée par "on ne sait trop qui, on ne sait trop quand", mais chose certaine elle aura permis d'ouvrir la chasse aux morveux.

Gomme - Photo de la collection de Marielll - 28 mars 2019

Et les chasseurs de morveux, au temps du covid-19 sont plus nombreux que les proies.

Tout comme les dénonciateurs sont plus nombreux que les délinquants eux-mêmes.

On s'entend, vous et moi,  pour dire que le geste posé par la femme de la vidéo était antisocial et, disons-le,  pour le moins dégoûtant, avec ou sans le spectre de la covid-19.  Même en temps de paix sanitaire, on n'a pas le droit de cracher à terre, encore moins de répandre son mucus sur une rampe d'escalier.

Tout comme il n'est pas de bon goût d'écraser sa gomme sur un poteau de téléphone sur la rue, même si ça peut faire des photos juteuses.

Ce sont des règles de société que nous nous sommes données pour le bien vivre ensemble.

S'il y a transgression, il y contrevenant.

Et s'il y a contrevenant, il y a contravention à la clef.

Non, ce qui, dans le cas présent, a généré et alimenté mon immense fou rire, ce n'est pas le geste posé, mais son traitement journalistique.

Imaginez le journaliste armé d'un micro et d'une perche de deux mètres, pandémie oblige,  en train de poursuivre la femme dans le stationnement de son immeuble, pour lui poser LA question qui tue, celle que tout journaliste rêve de pouvoir formuler un jour pour se voir propulser dans la sphère des grands, des prétendants au Prix Pulitzer : " Madame, pourquoi avez-vous fait ça? ". Silence.

Et je me demande, je me demande sincèrement à quels genres de réponses peut s'attendre un journaliste en posant la question  : "Pourquoi avez-vous fait ça?"

Parce que j'avais un "ma toux" dans la gorge.
Parce que je n'avais pas de mouchoir à portée de main.
Parce que je m'ennuie.
Parce que ma mère m'a toujours dit de ne rien garder à l'intérieur.
Parce que mon voisin me fait chier.
Parce que je suis prise à la gorge par mon propriétaire qui refuse de reporter le paiement du loyer.
Parce que je suis en arrêt de travail obligé.
Ou simplement juste parce que quelqu'un lui a dit : "T'es pas game".

La question à se poser n'est pas Pourquoi vous avez fait ça?, mais bien Qui veut le savoir?

Clairement le geste était délibéré. Clairement, il y avait une intention derrière le geste. Et le geste se vaut une contravention peu importe ce qui l'a motivé, mais ça ne mérite pas un traitement journalistique, et certainement pas une inculpation, encore moins une mise à pied - Je réfère ici au jeune homme qui s’est filmé en train de tousser sur un terminal Interac au service à l’auto d’un restaurant avant de remettre celui-ci au commis.- Le jeune homme s'est vu inculper pour méfait public et nuisance et, la cerise sur le sundae, il a été mis à pied par son employeur, en total désaccord avec le geste posé. Tout ça, pour une blague de mauvais goût, de très mauvais goût partagée sur le Web.

Imaginez si la photo jointe à mon blogue avait été prise le 28 mars 2020. Un périmètre de sécurité aurait été mis en place autour du poteau électrique, dans l'attente du débarquement d'une équipe SWAT de la Santé publique pour prendre des tests d'ADN.

Marielll

P.-S. Histoire  de ne pas me faire crucifier sur la place publique, je tiens à préciser que je suis l'auteure de la photo, mais pas de la chique.