Je ne fais jamais les choses à moitié



À l'été 1976, ce même été où il m'a été donné de confirmer mon inaptitude comme serveuse, j'ai fini par passer l'été sur l'autoroute 20, comme fly woman. 


Je me souviens de mon entrevue, comme si c'était hier. C'était surréaliste. Totalement surréaliste!


D'abord, en 1976, c'était la première fois au Québec que le ministère des Transports du Québec embauchait des femmes pour faire la signalisation. Une première! Et parce que c'était la première fois, un comité d'embauche constitué d'hommes s'était réuni la veille des entrevues pour formuler un genre de code d'éthique. 


Ce n'était pas tout que de le formuler, encore fallait-il le communiquer. J’ai encore frais à ma mémoire le très grand malaise ressenti par le responsable lors de l'entrevue, un homme d'une quarantaine d'années, au demeurant, très sympathique.  


Il tourne en rond, il tergiverse, il hésite, il bafouille, il justifie... "Ah, vous savez, les équipes sur le terrain sont constituées d'hommes seulement qui n'ont jamais travaillé avec des femmes". Plusieurs fois, je reviens à la charge, je lui demande ce que prévoit le code, de préciser son contenu... Et lui, comme émissaire, se lance courageusement... " Une des clauses prévoit qu'il est défendu de faire usage de ses atouts aux fins de l'obtention de privilèges". 


Pouvez-vous préciser, dis-je : " Quel atout?  Quel privilège?  "


"Par exemple, dit-il du bout des lèvres, vous êtes en pause, vous aimeriez que votre chef d'équipe vous donne un "lift" au resto pour casser la croûte et, pour cette faveur, vous lui montrez un sein". Et moi, du tac au tac, de lui répondre : " Je vous rassure tout de suite, quand je fais les choses, je ne les fais pas à moitié. Je ne montre jamais UN sein, je montre les deux". 


Tous les deux nous avons éclaté d'un grand fou rire qui a dissipé le malaise et qui, au final, s'est conclu par tonitruant ENGAGÉE!!!


J'ai adoré mon été. Un été singulier. Beaucoup d'heures, mais un emploi payant assorti de bonnes conditions de travail. J'ai encore en mémoire les étonnements observés sur les visages des usagers de la route, leurs commentaires nombreux, parfois franchement féministes et d’autres, souvent sexistes, mais toujours enrobés d'un enthousiasme candide.

Aujourd'hui, sur un chantier, mon équipement vestimentaire de 1976 ne passerait pas la rampe pour des raisons de sécurité. Homme ou femme, le signaleur porte un uniforme jaune, pantalon et veste fluo.

Et une quarantaine d'années plus tard, en 2021, je m'étonne de tomber sur un article de presse qui, par le titre lui-même et les commentaires formulés, me confirme que tout n'est pas acquis et que le code d'éthique n'est pas très loin sous la pile. Jamais en 2021, non plus qu'en 1976, on ne dirait que le sourire d'un signaleur "rend la traversée d'un chantier de construction moins pénible". Et pourtant, quand c'est une signaleuse... 

Marielll







Commentaires

  1. Réponses
    1. Pourquoi étonnant... J'imagine que tu réfères à l'habillement... sandales, short. En 1976, c'était la norme homme-femme. Le fameux code d'éthique ne comportait pas de restrictions en regard de l'habillement ou des chaussures. Le seul gars du groupe était aussi en short et en sandales. Aujourd'hui, ce serait un cas de signalement à la CNESST ;-). Moi-même à la lumière de ce que je sais, de la dangerosité associée à l'exposition du signaleur sur un chantier routier, je vois les choses autrement. Très différemment!

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